Nous avons tous appris, le mardi 27 juin 2023 la mort d’un jeune homme de 17 ans. Son décès est survenu dans des conditions injustifiables qui plongent aujourd’hui notre pays dans une situation inquiétante et, à bien des égards, dramatique Inquiétante car en en peu de temps nous connaissons une troisième crise où la population se révolte par des actes de violence. Dramatique, parce que ce qui se passe peut affecter durablement le rapport d’un pays avec sa jeunesse et avec son avenir.
Face à cet événement, la République a fait des signes forts. Le Président a prononcé les mots « inexcusable et inexplicable ». L’ensemble de l’Assemblée nationale a respecté une minute de silence. Le procureur de le République de Nanterre a affirmé qu’« en l’état des investigations, le parquet de Nanterre considérait que les conditions légales de l’usage de l’arme n’étaient pas réunies ». Il y a quelques années cela aurait peut-être apaisé une partie des concitoyens et des concitoyennes de notre pays et évité un embrasement de la jeunesse. Force est de constater que ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Pour les CEMEA, la mort de Nahel n’est pas une simple bavure. C’est une faute grave qui vient sceller le sentiment d’injustice et de violence que ressentent beaucoup d’adolescents et de jeunes de notre pays : victimes de contrôles au faciès, systématiquement suspectés, souvent exclus et condamnés à l’échec scolaire et à l’errance sociale, ils ont le sentiment que la maxime de la République – Liberté, Égalité, Fraternité – ne s’applique pas à eux. Et ils observent au quotidien que les politiques, comme les médias, ne découvrent leur existence qu’à l’occasion de leurs transgressions.
Il est absolument nécessaire aujourd’hui que la société tout entière, jusqu’au plus haut niveau de l’État, reconnaisse ses responsabilités et assume ses erreurs. Il faut aussi qu’elle en tire les conséquences et ne se contente pas d’une répression qui ne fait que traiter superficiellement les symptômes d’un mal profond sans s’attaquer aux causes, pourtant connues et dénoncées depuis des décennies.
Une partie de la jeunesse de notre pays est en colère, elle réclame justice. Certes, nous devons lui demander clairement de renoncer aux destructions et agressions inutiles qui font le lit d’une extrême-droite qui n’attend que cela pour l’enfermer dans un statut de bouc-émissaire et légitimer une politique d’exclusion et de haine à son endroit. Mais nous devons aussi faire droit à ce sentiment d’injustice, en dénonçant clairement les fautes commises, en les sanctionnant et en travaillant à ce qu’elles ne se reproduisent plus. Nous devons, enfin, prendre la mesure du problème révélé par ces événements et proposer des solutions aux maux de notre société et de véritables alternatives politiques pour l’avenir.
Les Ceméa affirment et affirmeront toujours que les seules réponses sécuritaires sont dangereuses : elles cachent les problèmes sans les résoudre. Les Ceméa se battront sans relâche avec toutes celles et tous ceux qui considèrent que l’éradication de la précarité et de la pauvreté, la disparition des ghettos, le développement des services publics sur les territoires aujourd’hui sinistrés sont fondamentaux pour notre avenir commun.
Mais les Ceméa, nés sous le Front Populaire, ont aussi la conviction, que rien ne sera possible sans une éducation de tous les instants, à l’école, dans la famille, dans le périscolaire, dans la rue, pendant les vacances. Les Ceméa militent depuis plus de 80 ans pour que tous ces temps de vie se fasse dans l’agir ensemble. Ils appellent à ce que l’ensemble des enfants et de la jeunesse, puissent partir en séjours de vacances cet été pour rencontrer l’autre, découvrir l’altérité et vivre des expériences socialisantes éducatives. Les Ceméa appellent à la création d’un secrétariat d’État en charge d’un « service public des vacances et des loisirs » qui permettra de favoriser la mixité sociale, le plaisir d’être ensemble et de partager des aventures humaines. Car, n’en doutons pas : ce n’est en aucun cas, le Service national universel (SNU), tel qu’il est conçu aujourd’hui, qui permettra à la jeunesse de découvrir la richesse des valeurs de la République. C’est, bien plutôt, la mise en œuvre concrète des droits fondamentaux d’accès à l’école, à la culture et à des loisirs qui sollicitent l’engagement et forment à la responsabilité, qui fera découvrir à notre jeunesse, grâce à des pratiques pédagogiques émancipatrices, ce que signifient « Liberté – Égalité, Fraternité ».
C’est pourquoi, les Ceméa affirment qu’il est essentiel, pour réduire la fracture sociale qui se creuse et dont nous voyons les effets mortifères, d’investir massivement dans l’Éducation populaire, de former l’ensemble des acteurs et actrices de l’éducation, à promouvoir, partout et en tout temps, des pratiques d’émancipation et de solidarité, dans une logique interdisciplinaire et interprofessionnelle. Il est temps de sortir d’une conception de l’éducation en silos où l’on ne conçoit jamais l’enfant dans sa globalité. Car, nous ne dépasserons la crise que nous vivons aujourd’hui que par un sursaut éducatif. C’est ainsi, et ainsi seulement, que nous parviendrons à faire comprendre que les stéréotypes ne sont que des constructions mentales porteuses de divisions et que la solution pour l’avenir de toutes et tous ne peut passer que par la coopération. Il n’y a pas d’avenir possible sans une éducation à la hauteur de notre idéal républicain. Il est temps de le comprendre et de s’y mettre. Enfin !
Dorothée Boulogne, Jean-Baptiste Clerico, Philippe Meirieu et Séverine Rommé pour les Ceméa